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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 22:38

Le texte publié ci-dessous correspond au propos que j'ai tenu lors de mon intervention le 23 octobre 2012 dans l'auditorium du Forum des Arts & de la Culture de Talence, dans le cadre du colloque intitulé : Vertige de la lumière (cf. : http://associationfrictions.wordpress.com/2012/10/15/colloque-vertige-de-la-lumiere/ ). Il s'agit d'une analyse de 3" de Marc-Antoine Mathieu publié l'année précédente.

 

 

 

Trois secondes, c’est la durée, diégétique, de l’œuvre double produite par Marc-Antoine Mathieu. Œuvre double, car accessible selon deux modalités : en tant qu’album de bande dessinée, d’une part, et sous la forme d’une animation, accessible sur internet (avec un code fourni dans l’album), d’autre part. les deux versions se caractérisent par une absence de dialogues, un mutisme dont la conséquence naturelle est que tout ce qui est à déchiffrer dans 3"[1] est d’ordre visuel. L’ensemble est dessiné en noir et blanc, ces deux valeurs étant les deux constituants d’un univers fait d’obscurité et de lumière, de zones d’ombres et de révélations. 3" c’est de la skiagraphia.

Ces deux expériences complémentaires nous donnent à voir le parcours d’un rai de lumière pendant trois secondes. Le point de vue qui nous est offert coïncide avec ce rayon, nous conduisant de reflets en reflets dans une traversée fragmentée de différents espaces : bureau, stade de football en plein match, avion, cabinet de dentiste, devanture d’une galerie d’art, l’espace interplanétaire jusqu’à la Lune, etc. Chacun de ces lieux contient des indices qui nous permettent de mieux saisir ce que nous avons vu et de comprendre l’ensemble du puzzle que nous devons recomposer (comme nous le demande d’ailleurs la quatrième de couverture). Le lecteur doit suivre la lumière pour clarifier les instants cruciaux de cette affaire aux ramifications multiples.

Marc-Antoine Mathieu nous propose donc ces deux expériences particulières engendrées par la contrainte de figurer par ce qui rend possible la figuration et d’observer par la source même de ce qui permet la vision. Pour utiliser un terme oubapien, Marc-Antoine Mathieu s’est doté ici d’une contrainte génératrice[2], un élément qui conditionne le développement de la bande dessinée et qui en influence la structure, en l’occurrence ici une restriction du point de vue. Notons que cette contrainte a aussi pour conséquence de donner son titre, particulièrement laconique, à l’ouvrage.

Cette volonté d’explorer les limites du médium bande dessinée, d’expérimenter ses possibilités, est une tendance lourde dans l’œuvre de Mathieu. À chaque album, il renouvèle son défi d’utiliser les données mêmes de la bande dessinée pour en faire la matière d’un album, 3" s’inscrit ainsi dans l’ensemble du travail d’un artiste préoccupé par le fonctionnement de la bande dessinée, conscient de ses possibilités et soucieux de jouer avec elles. Chez Mathieu, le médium est souvent sujet de lui-même, citons notamment l’album Le Dessin[3] qui, comme son nom l’indique, porte sur l’exploration abyssale d’un dessin et qui n’est pas sans échos avec l’album qui nous intéresse aujourd’hui. Évoquons aussi sa série emblématique Julius Corentin Acquefac qui met en scène son héros éponyme, employé au ministère de l’humour, qui se trouve constamment confronté aux bouleversements des codes de la bande dessinée dans laquelle il évolue.

            Nous nous proposons donc d’analyser ici les deux aspects principaux de 3" : sa temporalité et son espace. La bande dessinée est en effet un médium spatio-temporel dans lequel l’espace conditionne les éléments temporels comme la durée de lecture et le rythme (il en va de même en ce qui concerne l’animation, mais d’une manière différente). Ces deux données, temps et espace, sont intrinsèquement liées dans 3" par la contrainte choisie par Mathieu. Le rayon de lumière conditionne l’espace diégétique, fait de reflets multiples, traversé par lui et la vitesse extrême de la lumière conditionne le temps diégétique, nécessairement ralenti pour le lecteur (3 secondes représentant en effet la traversée de près de 900 000 km, ce qui est tout de même beaucoup pour si peu de temps). Enfin, après ces deux éléments, nous nous intéresserons au lecteur/spectateur, à son expérience et au rôle qu’il tient dans ce double dispositif.



[1] Marc-Antoine Mathieu, 3", Paris, Delcourt, 2011.

[2] L’un des deux types de contraintes, avec les contraintes transformatrices, qui servent à répartir les différentes expérimentations des divers participants à L’Oupus 2 (Collectif, Paris, L’Association, 2003).

[3] Marc-Antoine Mathieu, Le Dessin, Paris, Delcourt, 2001.

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